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Florence Jany-Catrice - En quoi les crises rendent-elles plus nécessaires les nouveaux indicateurs de richesse ?

La question des indicateurs relève de l'économie politique car elle touche à un concept fondamental : qu'est-ce que la richesse ? Que devons-nous mesurer ?

Les crises actuelles sont, selon Florence Jany Catrice, des crises de la démesure et de la perte de sens. Elle cite l'injonction à la production pour la production, à la croissance pour la croissance ; l'activité financière qui échappe aujourd'hui à la maîtrise humaine ; et enfin la démesure des indicateurs eux-mêmes, dont les progrès mesurés ne sont pas sensibles aux citoyens, accentuant le hiatus entre ce qui est mesuré et ce qui est perçu.

 

En quelques décennies, le PIB est devenu le marqueur hégémonique du progrès. Il a le même atout fondamental que la monnaie : il est synthétique et peut être appliqué partout, quelle que soit la réalité des activités ou modes de vie des pays. Sa force est de regrouper des réalités hétérogènes. Malgré des critiques récurrentes, il s'est imposé et est maintenant considéré comme un instrument au dessus de tout soupçon. Or, il a été créé après la guerre, pour mesurer la croissance sur la base d'un développement industriel. Se baser sur une mesure des volumes de production sur ce type d'économie ne pose pas de problème. Mais que faire quand il s'agit de productions immatérielles comme les activités de service ? Un autre aspect pose un problème important. La mesure systématique, presque obsessionnelle de la croissance fait perdre de vue la finalité de cette croissance. L'absence de réflexion sur les besoins ne fait que renforcer cette perte de sens.

De même, le PIB ne mesure que les flux. Il est indifférent au stock, et, plus largement, du patrimoine y compris non matériel : les ressources naturelles, la biodiversité ; mais aussi la cohésion sociale qui participe d'un patrimoine que l'on aimerait pouvoir léguer aux générations futures.

Il y a toujours eu des propositions alternatives au PIB. L'un de ceux qui est aujourd'hui relativement intégré, c'est l'indicateur de développement humain, utilisé par les Nations Unies dans les années 90 et aujourd'hui enseigné à l'école. De nouveaux indicateurs sont travaillés en permanence, et les pistes sont nombreuses... Il ne s'agit pas là de chercher de nouveaux instruments de mesure, mais bien de définir ce qui doit être mesurer, et la question sous-jacente est de savoir quel monde nous voulons. Il y a autant de « réalités » que d'indicateurs. Par exemple, l'indice de santé sociale en France donne des résultats très différents de la richesse économique ; mentionnons également que l'Amérique Latine est très en avance sur nous si l'on considère les indicateurs de cohésion sociale par exemple.

L'élaboration et l'utilisation d'indicateurs représente, pour les raisons énumérées plus haut, un enjeu considérable. C'est pourquoi il convient d'être extrêmement vigilant : les nouveaux indicateurs peuvent être l'objet d'une récupération politique tant ils peuvent faire dire de choses. De la même manière que Thierry Méot nous l'avait démontré avec la statistique, la construction d'indicateurs n'est pas neutre et véhicule des idéologies. Un exemple : l'Inclusive Wealth Index (IWI) se construit sur l'idée que tout peut se monétariser. La monnaie, on l'a vu, permet de synthétiser des forces hétérogènes. On évalue ainsi le prix de bien des choses qui ne s'achètent pas ; on parle alors de le coût social, de coût environnemental. Cette méthode part de l'hypothèse que tout est substituable, et les exemples ne manquent pas pour souligner ses limites : l'indemnisation des victimes de l'amiante, notamment. Combien coûte, combien vaut une vie humaine ?

Une autre mouvance préfère mesurer le bonheur. Cette vision est également chargée de sens : en l'état, l'indicateur additionne les bonheurs individuels pour définir le bonheur collectif. Mais le bonheur collectif peut-il se résumer à la somme des bonheurs individuels ?

Il faut constamment rappeler que la construction des indicateurs relève de l'économie politique en ce qu'elle implique une définition de ce qu'est la richesse, de la place de l'individu et celle du collectif ; toutes ces questions sont éminemment politiques. En cela, il peut être dangereux de se limiter à un indicateur qui serait considéré comme le seul valable ; certains doivent être pensés comme des indicateurs d'alerte plus que de mesure. Il est primordial également, de par la portée politique de la démarche, de sortir les indicateurs du seul cercle des économistes. L'implication citoyenne dans leur élaboration est un enjeu fondamental.

 

Florence Jany-Catrice - En quoi les crises rendent-elles plus nécessaires les nouveaux indicateurs de richesse ?

le 15 January 2013

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