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Daniel Gaxie - Les mécanismes électoraux

Le 26 juin, le Lem recevait Daniel Gaxie, professeur de sociologie politique à l'Université Paris I ; membre du SPEL (Sociologie Politique des ÉLections) ; auteur notamment de L'Europe des Européens – Enquête comparative sur les perceptions de l'Europe (2011, en co-direction) ; La démocratie représentative (2003). Il nous a présenté le résultat du travail du SPELM dans le cadre de la campagne électorale. Notre invité ne sopuhaitant pas être filmé, nous ne reproduisons que ce compte-rendu succint.

Quelques mots, d'abord, sur la méthode. Les chercheurs du SPEL ont privilégié une enquête qualitative, à l'inverse de la démarche des sondeurs : des entretiens approfondis et répétés dans le temps, avec les mêmes personnes, sur des questions ouvertes. Le tout sur un temps long, bien en amont des échéances électorales.

 

Aborder le rapport des citoyens au vote se heurte à une difficulté qui relève de la mythologie démocratique : le glissement de l'idée d'égalité dans le vote – un homme, une voix – à celle d'une égalité devant le vote. C'est ce que Daniel Gaxie appelle "ethnocentrisme démocratique". Ce présupposé d'égalité devant le politique est validé par nos pratiques démocratiques, comme les sondages qui ne sont valables qu'en intégrant le principe que chacun répond avec les mêmes outils politiques ; mais aussi les professions de foi qui illustrent bien cette idée que chacun est supposé faire son choix en conscience et donc être suffisamment informé pour cela. Ce présupposé est alimenté par un autre ethnocentrisme, celui-ci "intellectuel et militant". Cette catégorie de la population, dotée d'un fort capital culturel et d'une formation politique, a un rapport en réalité très particulier au politique : il va de soi qu'on est informé, intéressé à la politique, c'est là une évidence naturelle. On trouve ici l'illusion que ce rapport au politique est celui de l'ensemble des citoyens.

 

Lectures du politique

 

En réalité, il en va tout autrement. Il n'y a pas un, mais des rapports au politique, qui varient selon le capital culturel et l'éducation. De la même manière, il n'y a pas la politique mais des politiques : politique anecdotique (tweets...), politique internationale, politique politicienne (stratégies), politique publique ou sociale... La palette des intérêts varie selon toutes les combinaisons possibles entre la prise en compte de l'ensemble ou de certains aspects du politique. De même manière, les manifestations de cet intérêt varient : discussions, usage des médias, implication syndicale, associative, manifestations... Les citoyens ont des orientations plus ou moins étendues, et plus ou moins argumentées.

 

Ces divers rapports au politique impliquent des modes de production des opinions, puis des votes très différents. Quand certains votent pour exprimer des opinions, d'autres choisissent un candidat pour voter ; là où les uns placent de l'espoir dans le fruit de leur vote, les autres n'en attendent rien. Ces derniers sont d'ailleurs de plus en plus nombreux : l'ampleur du scepticisme et de la défiance envers le politique est plus puissant que jamais, mais aussi relativement ambigü : on constate aussi des vélléités de réinvestissement. Ce sceptiscisme est d'ailleurs lui aussi de nature différente selon les citoyens ; ethique et ancien dans les milieux populaires, il est plus nouveau chez les classes plus aisées, et il véhicule des logiques relativement dissemblables. Le lien avec la hausse régulière de l'abstention est clair. Abstention d'ailleurs intermittente : très peu de gens ne votent jamais, et les élections présidentielles et municipales, perçues comme pouvant influer directement sur la réalité, étant celles qui connaissent la plus forte participation.

 

Ces variations des angles de perception et d'analyse politique ne sont pas les seules différences entre les électeurs. On peut parler d'une forme de division du travail citoyen entre ceux qui se jugent compétents et les autres qui, parce qu'ils se jugent incompétents, s'auto-déshabilitent.

 

Les enseignements à tirer de ces entretiens répétés sont multiples. Premièrement, la maîtrise de l'univers politique relève de facto d'un "privilège", social, culturel. Les citoyens ont d'inégales capacités à faire prévaloir leurs intérêts dans le vote ; et les sondages fonctionnent sur la base de cette inégalité politique tout en l'entretenant.

 

Cette inégalité devant le vote, il faut la garder en tête. Les militants politiques ont tendance à l'oublier. Se battre pour le Peuple ne peut être fait sans lui, notre responsabilité est donc de partir de ses attentes qui ne peuvent être comprises sans une écoute attentive. Combattre cette inégalité, c'est réhabiliter le politique, c'est rendre le vote politique.

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Daniel Gaxie - Les mécanismes électoraux

le 08 août 2012

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