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Thierry Méot - L'enjeu des indicateurs et du service statistique public

Dès sa création en 1946, l'INSEE, dirigée par le résistant Francis Louis Closon, est en butte aux attaques du patronat qui détenait sous Vichy le monopole de la statistique. On ne saurait comprendre ces tensions constantes et jamais démenties sans saisir l'enjeu que représente la maîtrise de la statistique : c'est à partir de ces données que les politiques publiques sont déterminées. Les négociations sur les retraites, par exemple, partent des projections démographiques réalisées. Ces attaques prennent une ampleur particulière au tournant des années 70-80. Les libéraux favorisent la multiplication des services statistiques concurrents à l'INSEE. En 1979, nous avons le COE-Rexecode, instituts patronaux ; l'IRES du côté des syndicats. La dernière attaque contre l'INSEE est menée par Nicolas Sarkozy qui voulut transférer une partie des services à Metz. C'est que cet outil, qui repose sur des savoirs et savoir-faire accumulés sur une très longue période, représente un enjeu considérable : éclairer, alimenter le débat public.

 

Si elle peut éclairer le débat, la statistique peut aussi l'orienter. La somme des études produites représente autant d'angles utilisables dans un but d'information ou de désinformation. Mettre en lumière, par exemple, le poids de la recherche et développement par rapport au PIB en France et en Allemagne permet d'appréhender la "supériorité" allemande avec d'autres raisons que celles assénées par les médias. De même, si on précise que 62% des accidents de la route ont lieu pendant le temps de travail, on déplace sensiblement le débat sur la sécurité routière. Il y a également, bien sûr, les données tout simplement peu ou pas médiatisées : par exemple le salaire à l'embauche des cadres qui passe de 48% du SMIC en 1995 à 13% en 2012.

 

Ces différents éléments permettent de dire que la révolution informationnelle a cela de commun avec la révolution industrielle qu'elle est sous domination du capitalisme. Thierry Méot souligne que la statistique n'est pas une science, mais une technique : elle n'est pas neutre. La manière dont on l'a conçue, ce que l'on choisit de montrer permettent de dessiner des réalités très différentes. La production de statistiques ne peut se faire sans une pensée politique aigüe, et c'est justement cette pensée qui est le résultats de plusieurs décennies d'accumulation de savoirs. Ajoutons que l'abondance de chiffres, quand on n'en comprend ni le sens, ni la visée, créé un sentiment d'insécurité cognitive aux conséquences inestimables sur la faculté des citoyens de comprendre et de penser le monde et la société.

 

Ce terrain ne doit pas être abandonné. Il est primordial d'utiliser la statistique pour donner à voir ce qui reste dans l'ombre. Thierry Méot nous met face à nos responsabilités : le relais entre les statisticiens et le peuple, ce sont les partis politiques. Et leur rôle n'est pas négligeable : réhabiliter la statistique comme outil politique de construction de l'intérêt général.

 

Thierry Méot - L'enjeu des indicateurs et du service statistique public

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