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Jean-Pierre Massias - La transition politique en Russie post-soviétique

Notre invité, avant d'entrer dans le vif du sujet, a tenu à préciser qu'il était juriste et non politologue, et qu'il parlerait du cas russe qu'il connaît particulièrement bien.

Il est très difficile, voire impossible de définir la vie politique des pays post-soviétiques à travers la même grille d'analyse que la nôtre. Le clivage gauche/droite que nous connaissons ne s'applique pas de la même manière dans ces pays.

 

1- Le système politique russe, par exemple, est encore déformé par la transition, ou plutôt par les modalités de cette transition. Elle a été décidée par le haut, par le pouvoir déjà en place, à l'inverse par exemple de la situation polonaise qui a vu se confronter des forces clairement distinctes. Le fait que les divergences politiques soviétiques aient toutes émanées du PC rendra plus complexe par la suite la formation de partis tels que nous les connaissons. Notre invité souligne que les transitions « réussies » sont celles où il y a eu clairement, ouvertement confrontation, laquelle permet par la suite de mener des négociations, de formuler des compromis.

 

2- La transition en Russie s'est accomplie brutalement, verticalement ; à la fois en tenant compte de la société mais sans jamais réclamer ou solliciter son arbitrage. Quand Boris Eltsine pousse dans le sens de l'éclatement de l'URSS, il ne se demande pas si c'est là une aspiration populaire. Tout au long de la transition soviétique, les citoyens ne sont pas sollicités, et cela ne favorise pas la formation ultérieure de partis politiques.

 

3- La transition soviétique pose comme clivage le passé et l'avenir. Boris Eltsine représente la rupture avec l'ordre ancien, et s'opposer à lui veut nécessairement dire s'appuyer sur la nostalgie. Et cette nostalgie peut être celle de l'Empire russe ou des politiques sociales de l'époque soviétique. C'est ainsi que l'opposition gauche/droite est dépassée par un clivage opposant rupture et continuité. Vladimir Poutine a par la suite compris qu'il fallait être un président de synthèse, en luttant contre l'oligarchie et en privatisant ; en restaurant l'autorité de l'État et donc en affirmant la place de la Russie dans un monde multipolaire. Cette synthèse qu'il effectue rend plus difficile encore de se structurer politiquement. D'autant plus que le PC au pouvoir était marqué idéologiquement à gauche, mais, comme parti-état, a concentré et mélangé les marqueurs, et il était aussi un parti conservateur.

 

Le système politique russe actuel est également déformant. Notre invité entend par là que la réalité russe ne correspond en rien à ce qu'elle dit être. Démocratie, fédéralisme, séparation des pouvoirs, multipartisme : rien de tout cela n'est vrai. Dans les faits, le système russe est un système bloqué ; et notre invité souligne que la négation de ce qu'il est représente un vrai problème. Ceux qui gagnent officiellement les élections ne les ont pas gagnées pas dans les urnes, la Russie n'est pas ce qu'elle prétend être. Le système institutionnel de la Russie dépend uniquement de la stratégie du président. Dans une situation pareille, une vraie vie politique est impossible ; en premier lieu parce que les partis, en Russie, ne servent à rien : l'histoire récente a par exemple montré qu'un premier ministre peut tout à fait gouverner sans le parlement. Autre aspect, la fraude, systématique et de plus en plus visible, n'est évidemment pas propice à une véritable vie démocratique. Dans les faits, le PC devrait être au pouvoir depuis au moins 1995...

 

La réalité partisane russe est complexe. On part d'un système avec un seul parti, lequel décrète le multipartisme. Après un moment de foisonnement de petits partis, on trouve aujourd'hui une situation très particulière : le parti de Poutine, Russie Unie, est le premier parti de Russie. Il revendique deux millions d'adhérents et est un parti d'élite, par lequel il faut passer pour mener une carrière. En fait, il ressemble beaucoup à l'ancien PCUS de ce point de vue.

Le Parti communiste est la deuxième force politique du pays, avec 170 000 adhérents. Autour de ces deux là, il n'y a rien : la droite libérale a été laminée par Poutine ; il n'y a plus de centre droit.

Un autre parti, la Russie Juste, a été créé par Poutine. Anciennement appelé La Patrie, il lui servait à faire diversion et à contrer le PC : une opposition créée de toute pièce.

Jean-Pierre Massias relativise l'importance du mouvement L'autre Russie, avec Garry Kasparov. Pour notre invité, l'Occident surestime largement ce mouvement qui, outre qu'il n'est pas populaire en Russie, n'a pas de cohérence politique, rassemblant des militants allant de l'extrême gauche à l'extrême droite. Cependant, l'opposition la plus dynamique est extra-partisane.

Le seul vrai parti d'opposition est donc le Parti communiste des Fédérations de Russie, qui est enfermé – et non qui s'enferme – dans la nostalgie. La précision est importante : ce parti est en mouvement, il s'y passe des choses, et son enfermement nostalgique est le fait des autres forces politiques.

Selon Poutine, la Russie a besoin d'une démocratie spécifique, qui ne peut se construire sur le modèle que nous connaissons. Cela soulève une vraie question. Reste à trouver la quelle, et sans oublier qu'une démocratie, pour spécifique qu'elle soit, doit être démocratique et pour cela répondre à un certain nombre d'exigences ; cela n'est aujourd'hui pas le cas. La Russie doit inventer sa démocratie. Des « partis racines » sont en train de naître, qui ne sont pas structurés et n'ont pas de discours idéologique global. Peut-être représentent-ils l'avenir de la Russie, mais rien ne permet encore de l'affirmer. La Russie est aujourd'hui un pays traumatisé par les conditions politiques, sociales et économiques de la transition, et par la rétrogradation en tant que puissance. Il n'existe pas de partis de gauche ou de droite. Il existe des partis de puissance.

 

Jean-Pierre Massias - La transition politique en Russie post-soviétique

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