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Gabriel Colletis - Quel projet industriel pour la France ?

Pour notre invité, la crise du capitalisme est le fruit de trois crises distinctes. La première est celle du travail : en 1967, pour la première fois, les gains de productivité baissent de façon significative et durable sous l'effet du taylorisme et de la conception des travailleurs comme simples forces de travail. S'ajoute à cette première crise une ouverture mal maîtrisée de notre économie. Enfin, la financiarisation couplée avec la mondialisation ont transformé la nature des échanges : ce ne sont plus des biens et des services, mais des capitaux et du travail qui circulent. Et les plus rapides, les capitaux financiers, se servent en premier. Viennent ensuite les capitaux productifs, moins volatiles, puis les travailleurs dont les compétences sont recherchées par les entreprises. Tout en bas de l'échelle, se trouvent les travailleurs dont les compétences ne sont pas recherchées. Eux ne se déplacent pas : ce sont les entreprises qui délocalisent... La part de revenu mondial consacrée à ces travailleurs n'est ni plus ni moins que le résidu laissé par ces différents acteurs. Toutes ces crises conjuguées entraînent une explosion des inégalités, et une récession mondiale.

 

Les pays qui résistent le mieux à la crise sont ceux qui ont su préserver ou développer leur tissus industriel. La mutation – pensée comme une modernisation – économique française repose sur l'idée que les activités pourraient se diviser entre trois secteurs, et que la part la plus importante devrait être celle de la conception et non de la production. Cela revient à séparer le faire, le savoir-faire et le savoir. Or cette chaîne ne peut être brisée, chacune de ces étapes apportant le bagage d'expérience et d'intelligence nécessaire pour les deux autres.

 

La stratégie des grandes entreprises permet de comprendre le processus de désindustrialisation. Les « fleurons industriels » français (armement, transports, énergie), nés par la volonté de l’État, ont comme clients des États susceptibles d'imposer une production locale et donc un transfert de technologie ; c'est ainsi que les délocalisations commencent dès la fin des années 60. Les années 90 voient les parts de capitaux non résidents devenir de plus en plus importantes : il n'y a plus de lien entre la bonne santé des entreprises et celle de la nation. Ajoutons à cela la lourde responsabilité de l’État incapable d'avoir une vision globale du système productif et de comprendre les interrelations entre tout ce qui concoure à la production. D'où des politiques d'aide aux entreprises parfaitement inefficaces.

 

Pour Gabriel Colletis, la première urgence est de repenser le travail. Rien n'est possible sans ce préalable : le travail n'est pas un coût qu'il conviendrait de réduire mais un apport de compétences. Il faut passer du travailleur taylorien – une force de travail – à ce que notre invité nomme le travailleur cognitif, qui va chercher ailleurs les compétences qui lui manquent pour résoudre des problèmes, qui travaille avec les autres dans un but précis. Une fois ce préalable obtenu, il faut s'attaquer à la finance. En suivant la logique selon laquelle la part de richesse accaparée varie selon la vitesse des acteurs, introduire des retardateurs temporels permettrait d'en finir avec cette volatilité. Taxer les transactions financières, moduler la fiscalité en fonction de la durée de détention des titres, ou encore rendre le pouvoir de décision des actionnaires proportionnel à la durée de détention des actions de l'entreprise sont autant d'outils performants.

 

Réorienter la production vers les besoins humains fondamentaux aujourd'hui insatisfaits tout en réduisant au maximum l'impact des productions humaines sur la nature est également indispensable. Parallèlement, il faut favoriser un ancrage territorial de la production : fournisseurs, sous-traitants, compétences, production des savoirs doivent être sur place. Cet ensemble créerait un patrimoine cognitif territorial. L'entreprise doit aussi être redéfinie juridiquement (voir à ce sujet l'audition de Daniel Bachet).

 

Enfin, il importe de redéfinir les normes sociales, environnementales, financières ; dont le respect serait garanti par une réelle démocratie salariale.

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Gabriel Colletis - Quel projet industriel pour la France ?

le 03 mai 2013

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